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Bolivie : traverser le plus grand désert de sel au monde

La Bolivie nous l’avons surtout parcourue en bus. Après avoir perdu notre temps sur les cartes à chercher des itinéraires sur des routes asphaltées, après s’être fait donner de sacrées leçons de prudence vis à vis de la conduite des boliviens, nous nous sommes résignés à rejoindre le Salar d’Uyuni par les transports locaux. Bondé du coffre au toit, à fond les manettes sur les chemins de terre, c’est en pleine nuit que le bus-mastodonte stoppera brutalement sa course dans la violente explosion de l’un de ses pneus. A 3h du matin, il nous laissera aux portes du désert où notre seule solution pour passer la nuit fut de planter notre tente sous le kiosque du village.

La suite se passe en Brompton.

L’entrée sur le Salar d’Uyuni se fait sur une fine couche de sel surmontant un mélange sec de terre et de sable. On s’enfonce. On fait quelques mètres au mieux, avant de perdre l’équilibre à bout de souffle, faute de vitesse. Il faut pousser.

Au bout de plusieurs kilomètres interminables, on distingue au loin un changement d’état du sol : une bande plus claire émerge entrainant avec elle la promesse de se remettre en selle bientôt.

En effet, le sol se durcit peu à peu et nous voici sur une étendue plane semblable à de la banquise, l’adhérence extrême du sel en plus. Apparaissent alors des blocs de sel comme de gros cailloux solidaires du bitume blanc, à contourner nécessairement. Après plusieurs kilomètres de slalom, à une vitesse toute relative mais quand-même heureux d’avancer sur nos Brompton, nous arrivons ensuite sur une nouvelle épreuve.

Le sol se soulève en plaques. Des plaques d’un mètre carré plus ou moins qui se chevauchent, pointent vers le ciel, se poussent et se dévient comme des dents immenses et acérées dans une mâchoire trop petite. Leur épaisseur n’est que de quelques centimètres mais leur solidité, à toute épreuve ! On se rend compte ici de la dureté lapidaire de ce sel. Il faut être prudents. Une amorce mal négociée pourrait nous faire chuter. Et nous souhaitions éviter l’expérience désagréable de s’égratigner sur du sel.

Après quelques kilomètres, la jungle minérale s’étiole. L’enchevêtrement houleux s’apaise. Les plaques trouvent leur place. Elles s’imbriquent, se complètent. Bientôt, l’oeil ne voit plus qu’une grande aire uniforme sur laquelle vient se poser une immense et fine résille hexagonale. C’est la matière majoritaire – et magnifique – à la surface du Salar. Les croûtes plus ou moins drues qui nous secouent légèrement à chaque mètre parcouru s’écrasent sour nos roues dans un craquement jouissif. Bien qu’il soit évident qu’elles nous ralentissent légèrement, nous roulons (enfin) bien et nous commençons, pour la première fois, à savourer la traversée.

La clarté ambiante et l’absence d’obstacle jusqu’à l’horizon trompe nos sens. Nous regardons autour de nous. Le rivage semble proche mais il est pourtant déjà à plusieurs heures de chevauchée. En face, un blanc éblouissant à perte de vue. Derrière, les montagnes arrondissent leur base et flottent au loin. Les plus petites sont des galets en lévitation. Par endroits, la chaleur dessine des étendues d’eau oscillantes qui donne des impressions d’oasis. Nous sommes bien dans le désert, il fait très chaud et les mirages nous accompagnent.

La perspective s’annule, nous trompe. C’est éblouissant, étourdissant, assourdissant de silence ; on perd nos repères. Solitude insulaire. Cette sensation nouvelle est délirante. On se remémore alors ces scènes de cinéma où le héros évolue dans son propre rêve ou est projeté dans celui d’un autre. Et là, on réalise que tout peut arriver. C’est à partir de ce moment là que nous devenons les acteurs de ce rêve que nous faisons les yeux ouverts. Nous sommes les protagonistes de ce récit initiatique ponctué de multiples obstacles à surmonter les uns après les autres.

Cette traversée allait nous mettre clairement à l’épreuve.

La croisière sur la mer de sel se poursuit de nombreuses heures au rythme régulier des secousses des croûtes de sel cédant sous notre passage. Nous nous éloignons franchement des rivages et les montagnes alentours commencent à s’enfoncer sous l’effet de la rotondité terrestre. Poussés par le vent naissant, des nuages légers arrivent, s’intercalent entre nous et les montagnes pour leur donner des allures fantomatiques. Nous prenons de la force et de la vitesse. Le vent aussi. Au bout de quelques heures, sa vitesse avait quadruplé la nôtre. Le soleil, posé sur le volcan, nous dispense ses derniers rayons. Une fois nos ombres infinies ayant fait corps avec la croûte immaculée spontanément assombrie, la lumière et la chaleur se mettent à chuter vertigineusement. Il faut planter la tente en vitesse. Et les rafales à 110 km/h n’aident en rien cela.

Nous passons des dizaines de minutes à lutter de toutes nos dernières forces contre le vent. Sans aucun doute, il cherche par tous les moyens de faire de notre tente un parachute afin de nous l’arracher pour la volatiliser dans cet espace infini où absolument rien n’aurait pu la retenir dans sa fuite. Nous réussissons en vain à l’assembler puis à buriner chacune de nos sardines, jusqu’à la dernière disponible, dans ce sol d’acier.

Le nez face au vent, comme ayant été positionné par les courants de manière à en subir un minimum les effets, nous avons trouvé la bonne orientation pour le vaisseau. A l’abri, l’équipage attend la fin de la tempête.

Le lendemain matin, le soleil est déjà chaud quand nous ouvrons les yeux. Le vent est totalement retombé sur le décor de notre rêve blanc. Il ne reste aucun indice au dehors de la tempête de la nuit excepté les innombrables sardines hardiment plantées la veille sur lesquelles les mâchoires de sel semblaient s’être refermée comme un piège sur la patte d’un renard.

Nous nous remettons en selle sur le sol de sel. Toutes les conditions sont réunies pour très bien avancer. Profitons-en, d’expérience, on sait que cela ne durera pas.

Le soleil au zénith sonne l’heure du déjeuner. Les réserves en eau se sont dramatiquement amoindries. Il ne nous reste plus qu’un litre et demi pour cuire nos pâtes et finir la journée, voire celles de demain si quelque chose venait à nous retarder. Nous gardons précieusement l’eau de cuisson. En cas de galère, on pourra toujours en faire une soupe, voire la boire telle qu’elle.

Ironie du sort, l’eau n’est pas bien loin. Le sol, nouvellement criblé de trous, laisse distinguer une nappe liquide d’un bleu abyssal juste là, sous nos pieds. On découvre avec méfiance que, depuis plusieurs kilomètres on évolue sur une croûte de quelques centimètres posée sur une plus ou moins grande quantité d’eau. Inquiets, nous nous engageons doucement sur ce qui ne nous inspire pas plus confiance que la traversée d’un lac gelé sur des échasses. Peu à peu, réalisant l’extrême solidité de notre bitume de sel – évitant tout de même de trop nous approcher des zones de rupture – nous prenons de l’assurance. Là bas, au loin, nous distinguons déjà un nouveau changement d’aspect.

Un champ de bataille de croûtes montagneuses forment de petites cordillères infranchissables avec nos vélos. Nous nous frayons un chemin, zigzagant entre ces petites murailles en équilibre sur une couche instable. Happés par le sable, nous éprouvons nos dernières forces. Le soleil réchauffe nos dos et vient déposer un filtre orangé sur nos derniers kilomètres. On a soif mais la rive est là.

Des véhicules en mouvement, des silhouettes encore statiques, des maisons tout au loin. Derrière nous, les derniers rayons du soleil viennent s’écorcher sur la croûte de sel. Devant nous, notre ombre est infinie. Son aspect se confond avec le sol tassé et noirci par la civilisation. La route se dessine. Nous sommes arrivés. Nous y sommes arrivé.

Caroline

400 jours - Ilsa del sol 1er jour - Bolivie (7 sur 9)

La bergère – Isla del sol – Bolivie


Isla del sol – Bolivie


Isla del sol – Bolivie


Brompton à bord – Tihuanacu – Bolivie


La Paz – Bolivie


400 jours - La paz - Bolivie (7 sur 8)

La Paz – Bolivie


Tihuanacu – Bolivie


Trésor enfoui – Tihuanacu – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (3 sur 103)

La tôle ondulée – accès au Salar d’Uyuni – Bolivie


Accès au Salar d’Uyuni – Bolivie


Accès au Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (16 sur 103)

Le sable et le sel – Entrée sur le Salar d’Uyuni – Bolivie


Le sable et le sel – Entrée sur le Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (19 sur 103)

Tapis volant et pyramides – Premier midi sur le Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (29 sur 103)

Surface – Salar d’Uyuni – Bolivie


Surface 2 – Salar d’Uyuni – Bolivie


Surface 3 – Salar d’Uyuni – Bolivie


Surface 4 – Salar d’Uyuni – Bolivie


Seuls dans le désert – Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (52 sur 103)

Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (57 sur 103)

L’arrivée des nuages – Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar d'Uyuni - Bolivie (1 sur 1)

Caroline – Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (66 sur 103)

Le vent – Salar d’Uyuni – Bolivie


9h du matin – Salar d’Uyuni – Bolivie


400 jours - Salar - Bolivie (1 sur 9) (77 sur 103)

Caroline – Salar d’Uyuni – Bolivie


Salar d’Uyuni – Bolivie


Réparations – Salar d’Uyuni – Bolivie


Caroline – Salar d’Uyuni – Bolivie


Et dessous, l’eau – Salar d’Uyuni – Bolivie


Salar d’Uyuni – Bolivie


Caroline – Salar d’Uyuni – Bolivie


Les mirages – Salar d’Uyuni – Bolivie


Presque arrivés – Salar d’Uyuni – Bolivie



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