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L’autre réalité du voyage

Dernière mise à jour : 4 août 2021

Depuis déjà 3 jours, je suis allongé au fond du lit d’un hôtel d’une ville chinoise sans charme. La cause : une énième intoxication alimentaire. Caroline tue le temps en mettant à jour le blog.

Voici, ici, la description d’une autre facette de notre quotidien ; lorsque les lumières des rencontres touchantes et des moments merveilleux s’évaporent et que l’autre réalité du voyage assujettit l’homme en transit.


400 jours - Malaka 2 - Malaisie (1 sur 1)

400 jours - Seoul - Corée du sud (16 sur 25)

400 jours - l'autre réalité du voyage (1 sur 1)-4

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Sur le lit, je sais plus dans quel sens me tourner pour trouver une partie de mon corps, à peu près fraiche de marque de ressorts du matelas pour pouvoir y reposer quelques instants mon corps.

J’espère au cours de ces tours sur moi même ressentir un peu moins ce ventre qui se contracte sans relâche depuis l’absorption de ce malheureux verre de vin chinois, deux jours plus tôt. Acheté pour célébrer la Saint Valentin. Ma tête tourne, je n’ai pas les idées claires.

Caroline, les yeux sur l’ordinateur, alors s’exprime : « Oh, c’est trop mignon. On vient de recevoir un message adorable ».

Dans ce message, Sidonie, une adorable aventurière en herbe nous explique que notre blog est dans les favoris sur l’ordinateur de Guillaume, son compagnon. Dans un texte touchant et d’une très grande gentillesse, Sidonie nous apprend que notre aventure leur a donné l’envie et le courage de voyager. C’est un rayon de soleil qui transperce les nuages et nous touche en plein coeur. Qui éclaire notre journée de cette chaleur humaine qui nous manque tant depuis que nous avons rejoint la Chine.

Mais, quelque part sur mon matelas de pierres, je me sens responsable du choix qu’ils s’apprêtent à suivre. Je réalise alors qu’à travers le blog nous véhiculons une image faussée de l’aventure. Que le choix des sujets et des photos ne traduit pas réellement l’entièreté du voyage. Alors, pour rétablir l’équilibre, il faut parler des moments durs, des doutes, des crises et de la fatigue. Il faut raconter alors ces interminables désagréments qui, chez nous se trouveraient résolus promptement, mais qui ici, sans connaitre, sans comprendre mieux notre environnement, nous poursuivent des jours durant et nous épuisent petit à petit. Nous devons donc mieux préciser la réalité du voyage. Et parler de tout, sans tabous.

Alors par où commencer ce chapitre. Si celui-ci doit parler de la face sombre du voyage, il est évident que nous avons des choses à raconter.

Procédant par exemple choisis :

En plus de ce mal de ventre, d’horribles démangeaisons ont transformé nos mains en champs de bataille de parasites. Boutons, sang coagulé et crevasses déforment nos doigts. Caroline et moi avons attrapé un parasite qui transforme nos mains en véritables éponges à boutons purulents. Ces boutons démangent tant, qu’ils nous réveillent la nuit. Et s’ils me réveillent pas, c’est Caroline qui le fera, malgré elle, à force de se gratter contre le montant du lit ou contre ses ongles ensanglantés. Se gratter jusqu’au sang, et continuer. Le trek dans les Annapurnas a complété la transformation monstrueuse de nos doigts par des engelures qui ultra-sensibilisent tous nos ongles.

On tentera de traiter ces parasites qui nous habitent avec cette crème antiparasitaire, interdite en France depuis 10 ans, si irritante que nos mains ne pourront plus se glisser dans une poche, ou un gant sans cette atroce impression d’une main gercés plongé dans un mélange de sable, de sel et d’eau bouillante.

Pour finir, alors que l’on pensera les parasites morts, ce problème réglé, les démangeaisons reviendront insidieusement et une nouvelle salve de boutons, plus nombreux viendront à nouveau coloniser nos mains et nos pieds. Au moment où j’écris, j’entends Caroline qui n’en peut plus de se gratter encore et encore sans pouvoir s’en empêcher ; jusqu’au sang, elle qui cicatrise si mal.

Il s’agît également de notre rapport aux autres.

En effet, notre aventure Chinoise est affreusement solitaire. Notre vocabulaire Chinois nous permet de comprendre que « riz » et « il n’y a pas », ce qui est un peu léger pour soutenir un conversation. Ici, quasiment personne ne parle anglais et nous ne rencontrons personne avec qui tenir une discussion. Chaque personne qui nous sourit mais qui ne parle pas nous enferme un peu plus dans notre bulle infranchissable. Bien sûr, quelques signes, quelques sourires perméabilisent l’ensemble, mais c’est majoritairement dans une sphère étanche que nous évoluons depuis notre arrivée en Chine. Malgré nous, car c’est l’antagonisme même de notre philosophie de voyage, ce sont les contraintes techniques qui s’imposent à nous. Et à moins de parler Chinois en 4 semaines nous y resterons cloitrés. Heureusement le couple est plus fort de jour en jour, sans dispute aucune, une connaissance quasi absolue de l’autre et une complicité plus grande de jour en jour.

Compréhension et soutien sur les routes chinoises, lorsque Caroline, fera une chute à s’en briser le casque. Dans une descente où les aspérités de la route transforment votre guidon en cheval indomptable et que le sac avant, par les vibrations incessantes, s’éjecte de son logement et déstabilise son petit vélo, Caroline couchera son vélo sur le goudron entrainant son casque, son genou et son tibia à frapper le sol avec célérité.

Je la vois tomber, je me précipite vers elle, et c’est relevée mais apeurée que je la récupère. Les affaires éparpillées sur la route et de grosses larmes de raz le bol coulent sur ces petites joues.

Elle hurlera, de rage, de colère et de désespoir. Contre cette route poussiéreuse interminable, contre ces camions qui font hurler leur klaxons dans vos oreilles, contre ces voitures qui vous regardent de la tête au pied comme s’il s’agissait d’un divertissement. Je sens que Caroline est à bout. Pourtant, nous sommes loin de toute ville et nous ne pouvons camper ici. Nous n’avons pas assez d’eau. Et malgré tout le réconfort que je tente de lui donner, ma seule réponse, l’éternelle, est d’avancer, avancer encore un peu, la maison se trouve au bout.

On pense de plus en plus souvent au retour. Parfois Caroline demande : « On habitera où quand on rentrera ? », « On aura une maison à nous un jour ? ». Ou parfois, souvent lors d’un repas de fortune, type nouilles chinoises crues avalées au bord de la route, on se pose la question : « Et si tu pouvais manger ce que tu veux, tu prendrais quoi ? ». Fondues, Cassoulets, Raclettes font toujours partis des réponses, mais c’est toujours nos nouilles Chinoises que l’on tient dans la main et que l’on avale sans plaisir.

C’est une chose difficilement appréhendable lors de la préparation du voyage, mais la nourriture provoque des affreuses situations de manque. Sûrement à mettre en parallèle avec le manque de nicotine que connaissent les fumeurs. Au début, c’est génial, vous vous réjouissez de manger à chaque repas des plats inconnus et variés – N’ôtons pas à la Chine son incroyable richesse gastronomique et les excellents Dhal-bat et momos népalais – mais après des mois de voyage, la vision d’une vraie pizza, avec des légumes grillés dans de l’huile d’olive, et du fromage qui coule et tout et tout, peut vous poursuivre des heures durant. Et vous mangez votre soupe de choux et bol de riz en imaginant manger une choucroute comme un homme ferait l’amour à sa femme en s’imaginant avec sa maitresse.

Santé, solitude, manque, mais aussi doutes :

Il s’agit aussi de cette matinée froide, 4 jours plus tôt. Perdus entre Shilin et Mile. La brume recouvre cet étrange paysage de forêts de pierre et d’arbres squelettiques. Le lent brouillard masque ce désert vide d’âmes. La seule ville que loin croise est peuplée d’immenses immeubles vides et d’autoroutes à l’abandon. Echafaudages géants abandonnés et autoroute terminée par un muret transformé en un parking de fortune. Nos doigts glacés attendent que le soleil perce enfin l’obscurité. Mais rien n’y fait. Seuls s’offrent à notre vue les 20 mètres qui nous séparent de cette barrière brumeuse invisible ; Ciel d’éclipse, loin de chez nous, loin de nos repère, le coeur est au bord des lèvres.

Caroline est loin devant. Il fait froid et elle ne se retourne pas, elle aussi, elle lutte.

Il fait froid, et pourtant, je transpire.

Par oubli, je n’ai pas vérifié l’état des roulements lors de la révision générale au Népal. Erreur car les billes ont souffert et mon vélo peine de plus en plus. Je n’arrive bientôt plus à avancer. Je suis réduit à pousser, même dans les quelques descentes que daignent nous accorder ces limbes du voyage. Las, fatigué, je sais que je ne peux rien faire pour réparer, pas ici, pas avec mon maigre outillage. Mais, je ne peux accepter l’inaction alors je tente quand même une ultime réparation au bord de cette route mais rien n’est faisable ici. Je n’y arrive pas. Et mes doigts gelés tentent tout, mais rien ne se passe. Alors j’hurle au désespoir. De toute mes forces. 2 fois. Je cris dans ce brouillard qui avale ma rage comme il avale notre chaleur vitale depuis le départ. Caroline, me regarde, longuement, un regard de condamné. Aucun mot n’est dit. Nous effectueront la suite des 50 km qui nous séparent de notre destination dans le silence et la réflexion. Entre obstination et abnégation.

Et ces enfants, à la sortie du bus à Kathmandu, absolument noirs et recouverts de crasse. Plus vraiment enfants, pas encore adolescents. Ils me fascinent et, en même temps, ils me dégoutent. Horribles, hideux, repoussants, monstrueux, abominables mais hypnotisants. Je ne peux décrocher mon regard. Je suis envahi du double sentiments qu’ils m’inspirent. Je ne peux décrocher mon regard. Leurs rictus fixent leurs visages dans ma mémoire. A jamais.

Nous sommes assaillis par une demi douzaine de taxis qui nous imposent leurs services. Mais pourtant, j’ai baissé le son de ce premier plan et je suis littéralement fasciné par cette horrible vision. Ils sont à demi couchés sur ce terrain vague entre 2 immeubles. Herbes hautes, détritus et innocence déchue. La tête dans le sac, ils respirent de la colle surement pour retrouver leur enfance perdue. L’un d’eux me regarde. Il voit mon incrédulité, mon dégout, ma fascination. Il me semble regarder la mort. Je ne peux rien faire. Un tel état de misère humaine me pétrifie. Il sourit toujours de ce rictus horrible puis replonge la tête dans son sac. Je me retournerai 10 fois, 20 fois en me posant la même question : Que faire ?

Un mois plus tard, à part me perdre en conjectures impossibles, je n’ai pas trouvé de réponse.

Voilà donc, une description des moments durs, de ces expériences qui nous éprouvent, testent notre volonté.

Mais ces conditions, ces épreuves, cette autre réalité du voyage, nous l’acceptons, car elle nous permettent de vivre un vrai voyage, loin des édulcorants. Sinon autant partir au Club Med.

De plus, comme lorsque l’on rit de nous même sur nos difficultés passées, lorsque le filtre du temps a fait son effet, ce n’est plus de l’adversité, mais des expériences qui nous ont poussé au bout de nous même. Nous permettant plus profondément la découverte de soi même.

Ne faut-il pas ces moments d’infortune pour relever les moments de bonheur ? Il faut connaitre l’enfer pour apprécier le paradis. N’est-ce pas une bonne introduction au ying et au yang chinois, ce côté obscur et cette lumière qui se complètent l’un l’autre pour composer un tout : La Vie ?

Bref, ne nous laissons pas berner par des projets, des articles, des photos et des posts rêveurs. La Vie se cachera toujours derrière.

L’envie suggérée par les vies rêvées que certains peuvent vous vendre sur les réseaux sociaux et autres blog de voyages est aliénante car inaccessible. Par le seul moyen d’y répondre, moyen de misère, elle transforme notre vie en procuration virtuelle via ces autres, de l’autre côté de l’écran.

Je ne pense pas être plus heureux en voyage que je ne l’étais il y a un an, au boulot. Soucis, bouchons sur l’autoroute et courses au drive oubliées.

Je me rends compte, que ce qui ne me permettait pas d’être pleinement heureux, c’était l’attente de vivre le rêve. Ma pensée quotidienne était : « Ce que je serai bien dans un an, tranquille sur mon vélo, à penser et regarder les beaux paysages ».

Mais, maintenant, je sais que le voyage n’est pas un rêve. Il est tombé de son piédestal le jour où nous sommes partis. Un rêve est fait pour être rêvé, si vous l’accomplissez, il se transformera tout de suite en réalité avec ses hauts et ses bas, comme la vie réelle.

P.S. Sidonie et Guillaume, si vous décidez de partir, je vous félicite. Cela signifie que vous êtes suffisamment inconscients et optimistes pour aller de l’avant sans préjuger des difficultés. Que votre optimisme est plus grand que vos craintes et appréhensions. Merci encore pour votre mail sympa.

Il n’est jamais facile d’écrire sur les difficultés que l’on rencontre, mais toujours plus sur la joie, la beauté qui nous entoure et nos considérations qui naissent dans nos têtes au cours du voyage et le rendent plus beau (l’apprentissage, le véritable bénéfice du voyage, ce que l’on saura lorsque nous serons revenus). L’article ci-dessus a été dur à extraire, comme une écharde que l’on enlève, c’est à la pointe du couteau que je viens de l’écrire.

Alors pour être honnête avec vous, les articles qui suivront, jusqu’à la fin du voyage ne parleront plus comme celui-ci, ils ne parleront que de cette face que l’on veut retenir. Le côté merveilleux qui doit rester. Car on se conditionne, on choisit ce qu’on veut retenir. Et comme l’eau sur les plumes d’un canard, les mauvaises expériences n’auront pas de trace supplémentaire dans ma mémoire. Le monde est merveilleux et rien d’autre. Conditionnement au delà de conscience.


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